La première Rencontre nationale de l'animation scientifique et technique… l’évidence d’un besoin d’échanges et de co-élaborations.

Article pour la revue « Pour », avril 2006,
Dominique Bachelart (IUT de Tours) et Olivier Las Vergnas (CIRASTI)

 

 

Plus de 200 responsables de l’Education populaire échangent sur leurs actions et priorités en matière d’animation scientifique pour tous lors de la première Rencontre de l’animation scientifique organisée par le Cirasti et l’IUT de Tours les 26 et 27 janvier dernier.

 

 

210 participants se sont retrouvés à la première Rencontre nationale de l'animation scientifique coproduites par le Cirasti[1], mouvement français des exposciences[2] et le Département Carrières sociales de l'IUT de Tours.  C'est à la fois un succès quantitatif (la manifestation était initialement prévue pour 120 personnes) et qualitatif, marqué par des échanges très riches sur le thème de « la science pour tous, une utopie réaliste pour l'éducation populaire ? »

Une quarantaine de témoignages ont alimenté les débats dans les quatre ateliers thématiques et le forum des outils ; l'agora des métiers de l'animation s'est, quant à elle, interrogée sur les niveaux de qualification des animateurs et a souligné que la « science pour tous » ne peut être la seule affaire des spécialistes. Elle a aussi permis de montrer que les anciens étudiants de la formation "animation médiation scientifique" du DUT carrières sociales (mise en place depuis 20 ans par l’IUT de Tours) n'avaient rencontré ces dernières années que peu de difficultés à s’insérer dans ce secteur. Cette formation est transformée en Licence professionnelle Médiation scientifique et éducation à l¹environnement à partir de la rentrée 2006. Les premières demandes de VAE (Validation des acquis de l’expérience), en animation scientifique ont également été signalées pour ce DUT.

Enfin les associations ont manifesté une inquiétude générale sur les problèmes de financement, avec un paysage peu favorable aux structures locales ; paradoxalement, les crédits semblent aller plus aux démarches centralisatrices et descendantes et peu privilégier les démarches participatives et partant des réalités locales.

Les deux débats en plénière ont été complétés des réactions de deux grands témoins - Claire Heber-Suffrin du mouvement des réseaux d’échange de savoirs et Stella Baruk spécialiste réputée de la didactique des mathématiques. Les échanges ont largement permis d'éclairer les questions de fond.

 

Des idées fausses sur le désintérêt à l’égard des sciences

Le point de départ a été la mise en cause de deux idées fausses, qui sont pourtant très répandues. Contrairement aux idées reçues, 85% des Français sont curieux du monde technique et scientifique, mais leur intérêt se manifeste au travers de sujets précis qui les passionnent ou les préoccupent ; ils ont très envie d'en savoir plus, mais ne reconnaissent pas forcément ces centres d’intérêt dans la formulation classique : « Vous intéressez-vous aux sciences et techniques ? ». Ceux qui crient au désamour des sciences ne regardent en fait que les difficultés à apprendre les sciences enseignées à l’école.

 

Toujours contrairement aux fausses représentations qui circulent, il n'y a pas de désaffection massive des études scientifiques : seuls les DEUG généralistes sont forte diminution, mais au profit des filières plus professionnalisantes ; ainsi les proportions, aussi bien de ceux qui obtiennent un Bac sciences, que de ceux qui poursuivent ensuite en sciences et technologie sont constantes depuis plus d'une décennie. Aucune pénurie globale de chercheurs ou d'enseignants scientifiques n'est à craindre, en revanche, c'est le faible nombre de postes ouverts au recrutement qui est préoccupant. Il y aura toujours beaucoup plus de candidats que de postes, sauf peut-être pour quelques disciplines très pointues.

 

Enjeux individuels d’appropriation de méthodes scientifiques, enjeux collectifs de débats sciences/société

Au delà de ces deux renversements d'idées fausses, le constat préoccupant concerne le système de formation initiale. L'enseignement secondaire ne développe une réelle formation scientifique que pour 1/4 de la population, les 3/4 restant se retrouvant privés des méthodes et d'outils que les sciences pourraient leur fournir pour résoudre leurs problèmes et développer leur curiosité. Pourtant, donner à chacun la capacité de distinguer croyances, convictions et savoirs étayés s'avère une nécessité pour tous et pas seulement pour les futurs scientifiques est essentiel pour tous ceux militent pour la démocratie, le libre arbitre et les autres formes « d'empowerment » individuel et social, contre les obscurantismes et autres oppressions intellectuelles de toute nature. A ce titre, la construction et l'appropriation de savoirs et de méthodes de résolution de problèmes comme ceux qu'apporte la pensée scientifique sont des enjeux cruciaux : à l'heure où les mouvements d'éducation populaire s'engagent fortement pour impliquer les citoyens dans les débats « sciences et société », multipliant des forums, cafés d'échanges, voire même ateliers délibératifs, il est important de garder en mémoire que ces pratiques collectives ne peuvent être pleinement efficaces que si l'on renforce conjointement les actions développant aussi, à l'échelle individuelle, l'appropriation des méthodes, comme les projets présentés dans les Exposciences.

 

Répondre à la curiosité et aux préoccupations des jeunes eux-mêmes

A partir de là, des lignes d'actions pour l'éducation populaire en matière d'action culturelle scientifique et technique ont pu être affirmées :

D'abord en terme d'objectif, l'éducation populaire doit en priorité s'occuper des 3/4 de ceux d'entre nous qui ne sont pas ou ne de deviendront pas des scientifiques ou des technologues. Il s'agit donc plus de répondre à la curiosité et développer l'intérêt du plus grand nombre et non renforcer la spécialisation de ceux qui sont déjà passionnés des sciences scolaires. Pour cela, on peut en particulier s'appuyer sur qui intéresse chacun dans sa vie de tous les jours, qu'il s'agisse du bricolage, de sa santé, du sport, de pratiques artistiques, d'expression ou de création pour développer des approches et méthodes scientifiques.

Voilà qui devrait guider[3] les mouvements d'éducation populaire dans les mois qui viennent. En attendant, ces premières Rencontres de Tours devraient aussi influer fortement sur le développement de « l'Observatoire des exposciences » lancé l'année dernière par le Cirasti.  Elles ont souligné l'intérêt d'analyser plus finement le développement de projets d'inspiration technique, artistique ou vie quotidienne, projets qui permettent d'accueillir et de dynamiser des jeunes plus diversifiés que ceux directement ancrés sur des disciplines et corpus scolaires. Il nous intéresse en effet de favoriser l’émergence de projets enracinés sur de réels centres d'intérêt ou de préoccupations des jeunes eux-mêmes, le moins possible téléguidés par des adultes. Dans ce domaine, de nouvelles collaborations entre le Cirasti et l'IUT de Tours vont être développées avec des enseignants-chercheurs et des laboratoires en sciences sociales.



[1] Voir http://www.cirasti.org

[2] Concrètement, le Cirasti développe les « exposciences » où des centaines de jeunes présentent pendant quelques jours entre 30 et 60 projets. Ce sont des collectifs territoriaux qui, dans vingt régions et dans plus de vingt départements les organisent ces exposciences : ils réunissent au total plus de trois cents représentants d'associations régionales, départementales et locales, de structures éducatives, de l'éducation nationale, des services déconcentrés de l‘Etat et de collectivités territoriales en lien avec des laboratoires de recherche et des entreprises.

[3] On trouvera en ligne à http://www.cirasti.org les principaux éléments de contenus de cette rencontre à partir de la fin avril 2006