[ retour à la une du réservoir d'Olivier Las Vergnas ]

 

 

Pourvu qu'ils trouvent un soutien, tous les jeunes se passionnent pour la découverte scientifique :

clinique des exposciences

 

 

Olivier Las Vergnas et Patrice Vanier,

Cirasti

 

Article pour

la revue du Centre de recherche et d'information sur la lecture de jeunesse,

n°87, paru en septembre 2006

 

 

 

 

Les exposciences : un cercle vertueux pour favoriser les projets de découverte scientifique

 

Les activités de découverte scientifique passionnent tous les jeunes à condition de créer les conditions d’émergence et d’expression de cette passion : appropriation, progression, échanges, aboutissement, valorisation. C’est un constat vieux comme la pédagogie : le développement de projets, pourvu qu’ils permettent des concrétisations gratifiantes, est un des meilleurs moyens de l’appropriation de savoirs. De tels projets offrent aussi l’opportunité de développer, à partir de résolutions de problèmes et de situation de communication, l’estime de soi, l’esprit critique et de multiples savoir être.

 

 Partant de ce constat, le Cirasti a été créé voici 20 ans par les mouvements nationaux d’éducation populaire motivés par le développement des activités de découverte scientifique : d’une part des mouvements généralistes, comme les Ceméa, les deux fédérations nationales de MJC, les Francas, les Eclaireurs de France, la Ligue de l’enseignement, la fédération Léo Lagrange, les Foyers ruraux et d’autre part des associations spécialisées, comme Planète  Scienceq, Les Petits Débrouillards, l’Association française d’astronomie...

 

 Concrètement, le Cirasti développe les « exposciences » où des centaines de jeunes présentent  pendant quelques jours entre 30 et 60 projets. Ce sont des collectifs territoriaux qui, dans vingt régions et dans plus de vingt départements, organisent ces exposciences : ils réunissent au total plus de trois cents représentants d'associations régionales, départementales et locales, de structures éducatives, de l'éducation nationale, des services déconcentrés de l‘Etat et de collectivités territoriales en lien avec des laboratoires de recherche et des entreprises. Depuis 1985, date de sa création, 240 exposciences régionales ou départementales ont été organisées, dans lesquelles 8412 équipes de jeunes ont présenté leurs projets scientifiques ou techniques. 400 projets de jeunes français ont par ce biais participé ensuite à l’une des 14 exposciences internationales coordonnées par le Milset, sans oublier les 68 équipes qui ont présenté leurs projets lors de 6 exposciences européennes.

 

 

 

Aujourd’hui ce concept d’exposciences est formalisé par une charte qui en précise les principes et les conditions de réussite, mais il fait aussi l’objet d’adaptations pour plus de proximité ou d’accessibilité. Ainsi depuis 1994, 602 projets de jeunes ont été présentés lors de 154 manifestations locales ou cantonales intitulées « Sciences Buissonnières » d’une ampleur plus limitée, mais plus souples à organiser que les manifestations régionales ou départementales ; autre adaptation, lancée après plusieurs publications de cédéroms récapitulatif des projets présentés dans certaines exposciences, 2006 verra, en Île de France, la première expérimentation d’une exposcience virtuelle qui proposera des présentations en ligne de leurs projets par les jeunes eux-mêmes.

 

Ces exposciences constituent le maillon clef d’un cercle vertueux qui favorise à la fois l’accomplissement et la démultiplication de ce type de projets : d’une part elles offrent aux équipes qui les développent un jalon important dans leur travail, leur permettant de mieux le structurer, d’en mieux gérer les échéances et surtout de préparer sa communication, d’autre part elles donnent à voir à de multiples publics (autres jeunes, parents, animateurs, relais d’opinion) l’intérêt et l’opportunité que peuvent représenter de tels projets de découverte scientifique.

 

Mais, bien sûr, un tel cercle vertueux ne va pas de soi et le Cirasti vient de se doter d’un observatoire pour en analyser l’efficacité au regard de quatre critères. Les deux premiers concernent la croissance du public touché : sont ainsi particulièrement observées la multiplication des projets d’une année sur l’autre et la capacité à dépasser la pure consanguinité qui caractériserait une exposcience visitée uniquement par les proches des jeunes exposants.

 

Les deux autres critères étudiés par l’observatoire concernent la nature des projets, à savoir leur cadre de réalisation (ratios entre les projets à support scolaire, périscolaire ou entièrement extrascolaire) et leur thématique. Sur ce dernier point, nous entendons particulièrement impulser le développement de projets d’inspiration technique, artistique ou vie quotidienne, projets qui permettent d’accueillir et de dynamiser des jeunes plus diversifiés que ceux directement ancré sur des disciplines et corpus scolaires. Une convention avec le Ministère de la culture s’intéresse d’ailleurs au développement des projets d’inspiration culturelle (aux sens des beaux arts, du patrimoine et des autres pratiques qu’il désigne par « culturelles »).  Ce qui nous intéresse en la matière étant bien entendu de favoriser des projets correspondant à de réels centres d’intérêt ou de préoccupations des jeunes eux-mêmes, le moins possible téléguidés par des adultes. Enfin, afin d’estimer la représentativité de chaque exposcience, nous voudrions aussi à nous faire une idée du réservoir de projets potentiels sur un territoire que l’on pourrait voir à terme converger pour renforcer les manifestations existantes, mais la méthode d’évaluation reste là à inventer.

 

encadré : Les projets de jeunes présentés lors de l’Exposcience européenne en juillet 2006 à Tarragone (Espagne)

 

Les Méthaniseurs

Mettre en place une production de biogaz par méthanisation du fumier de vache. Un grand projet qui, c'est sûr, fera date dans le recul des gaz à effet de serre. Réalisation d'un digesteur de démonstration.

 

Mini-fusées

Les spationautes d'Alençon (6 jeunes de 16 ans regroupés en Junior Association) conçoivent et fabriquent des fusées miniatures. Le Centre national d’études spatiales leurs fournit les propulseurs à poudre et l’association Planète Sciences leur apporte un soutien technique. Ces fusées, de plus d'un mètre, atteignent une vitesse de 320 km/h et une hauteur de l'ordre de 300m.

 

La tornade

Le groupe a tout d’abord essayé de comprendre comment les tornades prennent naissance. Pour cela, ils ont réalisé plusieurs expériences pour la mise en évidence des facteurs provoquant une tornade. Après plusieurs échecs, ils ont réussi à “provoquer” une mini tornade dans un cylindre de 60 cm de diamètre et 2 mètres de hauteur.

 

Toujours plus haut

Les jeunes ont imaginé, élaboré et procédé au lâcher d'un ballon doté notamment de deux nacelles scientifiques. Ils ont intégré à  leur bord de nombreux appareils de mesures physiques réalisés par nos soins ainsi que d'appareils photographiques permettant des prises de vue inouïes. La chaîne de vol est ainsi constituée : enveloppe du ballon / parachute / réflecteur radar / nacelle scientifique / parachute / réflecteur radar / nacelle de prises de vue rapprochées.

 

Robotek

Collège Anatole France - Cadillac (33)

Le projet Robotek  est un projet de robotique pédagogique qui permet aux élèves de 3e de découvrir la conception et la réalisation d’un système automatisé. Les élèves abordent toutes les étapes de la recherche de solutions techniques à la fabrication de toutes les pièces composant le robot en passant par la modélisation 3D et la programmation en BASIC. Le projet est couronné en fin d’année par un concours inter-établissements qui valide les solutions techniques élaborées par les élèves.

 

Les colorants : étude physico-chimique

Approche théorique en physique : composition de la lumière blanche, synthèse additive et soustractive des lumières colorées.

Approche théorique en chimie : absorption de la lumière par les molécules organiques, relation entre la lumière absorbée par la molécule et la lumière émise par celle-ci (lumière complémentaire).

Approche expérimentale : synthèse de l'indigo, extraction et analyse par chromatographie sur couche mince des colorants naturels du paprika, utilisation des colorants dans un produit alimentaire.

 

Le pastel en pays de Cocagne

Très peu utilisé durant l'Antiquité (le lapis lazuli coûtait très cher et pour les Romains, c'était la couleur des barbares), le bleu n'est vraiment  utilisé qu'à partir du 13ème siècle où il est adopté par l'Eglise chrétienne. Le Lauragais, petite région comprise dans le triangle Toulouse-Albi-Carcassonne, peut alors s'enrichir en cultivant l'Isatis Tinctoria appelé aussi pastel. Ce sont les coques de pastel en bouillie qui donnent le nom de pays de cocagne à cette région où l'on peut tant s'enrichir. Mais au 17ème siècle l'indigo puis le bleu de Prusse et les colorants synthétiques  remplacent le pastel.

 

Séismes et Tsunamis

Suite aux événements catastrophiques qui ont touché l'Asie à la fin de l'année 2004, le groupe a choisi de travailler sur le thème "Séisme et Tsunami". Il a opté pour un projet de réalisation technique et il a construit un simulateur de tsunami.

 

Dur, dur le matin

Le matin, dur moment ! Il faut sortir difficilement du sommeil pour plonger rapidement dans le rythme compliqué de la journée… nous avons tous nos petites habitudes. Du passage dans la salle de bains au petit déjeuner… il se produit toujours les mêmes phénomènes. L'électricité statique s'attaque à mes cheveux et me donne une tête incroyable, ma tartine de confiture m'échappe maladroitement et retombe systématiquement sur le côté tartiné… POURQUOI ? Des petites difficultés du quotidien que les jeunes de Pont Saint Martin ont tenté d'expliquer scientifiquement.

 

 

La science pour tous : une utopie réaliste pour l’éducation populaire ?

 

Au-delà d’être le mouvement français des exposciences, le Cirasti est aussi une plate-forme de réflexion, de formation et d’action pour l’éducation populaire. Ainsi, 210 participants se sont retrouvés à la première Rencontre nationale de l'animation scientifique sous titrées « la science pour tous, une utopie réaliste pour l’éducation populaire ? » en coproduction avec le collectif Centre et le Département Carrières sociales de l’IUT de Tours, les 26 et 27 janvier 2006.  Une quarantaine de témoignages ont alimenté les débats dans les quatre ateliers thématiques et le forum des outils ; l'agora des métiers de l'animation s'est, quant à elle, interrogée sur les niveaux de qualification des animateurs et a souligné que la « science pour tous » ne peut être la seule affaire des spécialistes. Elle a aussi permis de montrer que les anciens étudiants de la formation "animation médiation scientifique" du DUT carrières sociales (mise en place depuis 20 ans par l’IUT de Tours) n'avaient rencontré ces dernières années que peu de difficultés à s’insérer dans ce secteur. Cette formation est transformée en Licence professionnelle Médiation scientifique et éducation à l¹environnement à partir de la rentrée 2006. Les premières demandes de VAE (Validation des acquis de l’expérience), en animation scientifique ont également été signalées pour ce DUT.

Enfin les associations ont manifesté une inquiétude générale sur les problèmes de financement, avec un paysage peu favorable aux structures locales ; paradoxalement, les crédits semblent aller plus aux démarches centralisatrices et descendantes et peu privilégier les démarches participatives et partant des réalités locales.

Les deux débats en plénière ont été complétés des réactions de deux grands témoins - Claire Heber-Suffrin du mouvement des réseaux d’échange de savoirs et Stella Baruk spécialiste réputée de la didactique des mathématiques. Les échanges ont largement permis d'éclairer les questions de fond.

 

Des idées fausses sur le désintérêt à l’égard des sciences

Le point de départ a été la mise en cause de deux idées fausses, qui sont pourtant très répandues. Contrairement aux idées reçues, 85% des Français sont curieux du monde technique et scientifique, mais leur intérêt se manifeste au travers de sujets précis qui les passionnent ou les préoccupent ; ils ont très envie d'en savoir plus, mais ne reconnaissent pas forcément ces centres d’intérêt dans la formulation classique : « Vous intéressez-vous aux sciences et techniques ? ». Ceux qui crient au désamour des sciences ne regardent en fait que les difficultés à apprendre les sciences enseignées à l’école.

 

Toujours contrairement aux fausses représentations qui circulent, il n'y a pas de désaffection massive des études scientifiques : seuls les DEUG généralistes sont forte diminution, mais au profit des filières plus professionnalisantes ; ainsi les proportions, aussi bien de ceux qui obtiennent un Bac sciences, que de ceux qui poursuivent ensuite en sciences et technologie sont constantes depuis plus d'une décennie. Aucune pénurie globale de chercheurs ou d'enseignants scientifiques n'est à craindre, en revanche, c'est le faible nombre de postes ouverts au recrutement qui est préoccupant. Il y aura toujours beaucoup plus de candidats que de postes, sauf peut-être pour quelques disciplines très pointues.

 

Enjeux individuels d’appropriation de méthodes scientifiques, enjeux collectifs de débats sciences/société

Au delà de ces deux renversements d'idées fausses, le constat préoccupant concerne le système de formation initiale. L'enseignement secondaire ne développe une réelle formation scientifique que pour 1/4 de la population, les 3/4 restant se retrouvant privés des méthodes et d'outils que les sciences pourraient leur fournir pour résoudre leurs problèmes et développer leur curiosité. Pourtant, donner à chacun la capacité de distinguer croyances, convictions et savoirs étayés s'avère une nécessité pour tous et pas seulement pour les futurs scientifiques est essentiel pour tous ceux militent pour la démocratie, le libre arbitre et les autres formes « d'empowerment » individuel et social, contre les obscurantismes et autres oppressions intellectuelles de toute nature. A ce titre, la construction et l'appropriation de savoirs et de méthodes de résolution de problèmes comme ceux qu'apporte la pensée scientifique sont des enjeux cruciaux : à l'heure où les mouvements d'éducation populaire s'engagent fortement pour impliquer les citoyens dans les débats « sciences et société », multipliant des forums, cafés d'échanges, voire même ateliers délibératifs, il est important de garder en mémoire que ces pratiques collectives ne peuvent être pleinement efficaces que si l'on renforce conjointement les actions développant aussi, à l'échelle individuelle, l'appropriation des méthodes, comme les projets présentés dans les Exposciences.

 

Répondre à la curiosité et aux préoccupations des jeunes eux-mêmes

A partir de là, des lignes d'actions pour l'éducation populaire en matière d'action culturelle scientifique et technique ont pu être affirmées :

D'abord en terme d'objectif, l'éducation populaire doit en priorité s'occuper des 3/4 de ceux d'entre nous qui ne sont pas ou ne de deviendront pas des scientifiques ou des technologues. Il s'agit donc plus de répondre à la curiosité et développer l'intérêt du plus grand nombre et non renforcer la spécialisation de ceux qui sont déjà passionnés des sciences scolaires. Pour cela, on peut en particulier s'appuyer sur qui intéresse chacun dans sa vie de tous les jours, qu'il s'agisse du bricolage, de sa santé, du sport, de pratiques artistiques, d'expression ou de création pour développer des approches et méthodes scientifiques.

Voilà qui devrait guider les mouvements d'éducation populaire dans les mois qui viennent. En attendant, ces premières Rencontres de Tours devraient aussi influer fortement sur le développement de « l'Observatoire des exposciences » lancé l'année dernière par le Cirasti.  Elles ont souligné l'intérêt d'analyser plus finement le développement de projets d'inspiration technique, artistique ou vie quotidienne, projets qui permettent d'accueillir et de dynamiser des jeunes plus diversifiés que ceux directement ancrés sur des disciplines et corpus scolaires. Il nous intéresse en effet de favoriser l’émergence de projets enracinés sur de réels centres d'intérêt ou de préoccupations des jeunes eux-mêmes, le moins possible téléguidés par des adultes. Dans ce domaine, de nouvelles collaborations entre le Cirasti et l'IUT de Tours vont être développées avec des enseignants-chercheurs et des laboratoires en sciences sociales.

La deuxième édition de la Rencontre de l’animation scientifique aura lieu les 25 et 26 janvier 2007 à l’IUT de Tours. Les réflexions qui y seront menées tenteront de déterminer les conditions à remplir pour que les activités scientifiques et techniques soient des pratiques émancipatrices. Ainsi est convié le public des associations d’éducation populaire mais aussi les autres acteurs de la médiation scientifique (CCSTI, collectivités territoriales, etc) à participer aux tables rondes, aux ateliers et l’agora. Rendez-vous les 25 et 26 janvier…

 

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